Vous connaissez Les
Saisies ? C'est une station de ski sympa et animée l'hiver et seulement sympa
l'été. Le cadre est quand même pas mal : la montagne, l'air pur, un rêve de
randonneur. Moi j'ai passé mon mois d'août aux service saisie d'une boîte en
banlieue parisienne. Le cadre était presque le même : des montagnes de
dossiers, mes doigts qui font l'intégralité du GR 20 chaque jour sur le
clavier, l'air pur en moins.
Je tire une certaine
fierté d'avoir réussi à me faire embaucher deux mois dans une banque pendant l'été 2009 (au plus fort de la crise)
et trois mois dans une autre en 2010 (au plus fort de la crise depuis 2009). Et
en 2011 ? Non là j'étais en stage. Du coup, j'étais assez confiant concernant
le succés de ma recherche de job d'été. En avril je me disais "je taffe de
mi mai à fin août, je me fais 5000 boules et je fais mon pimp toute
l'année". Après un mois de recherches infructueuses, je me suis dit
"bon c'est pas grave, je bosse juin-juillet-août, ça me fera quand même un
joli pactole". Fin juin je commençais à m'organiser des vacances.
Une ultime salve de
candidatures désespérées mi juillet m'a apporté un flot d'appels (deux).
"Allô bonjour j'appelle au sujet de la candidature que vous nous avez
envoyée. Vous seriez disponible cette après midi pour qu'on se rencontre ? Pas
besoin de mettre un costume". Ca tombait vachement bien parce que celui
que je mets "aux entretiens d'embauche, aux mariages et aux
enterrements" avait besoin de passer au pressing et qu'il aurait fallu que
j'achète les chaussures qui vont avec. Je suis de ceux qui anticipent. Mon
interlocuteur m'a expliqué mes futures responsabilités : "On envoie des
enquêteurs faire des mesures dans des grandes surfaces, ils remplissent de chiffres
les gros dossiers que vous voyez là bas et votre mission, si vous l'acceptez,
consistera à saisir ces dossiers dans des tableurs excel. Vous êtes disponible
en août ? Trés bien je vous attends donc le 29 juillet à 9 heures !"
De la sympathie des
stagiaires
Ce qui est bien quand on
fait un job d'été, c'est quand il y a d'autres gens dans la même situation que
nous. Au début on discute de choses et d'autres : "t'as vu, Unetelle, elle
prend des pauses de 45 minutes, elle part dès que la responsable est en réunion
et elle revient juste avant. A 16h59 elle attend sans rien faire qu'il soit 17h
et à 17h01 elle a disparu".
Une fois la timidité du
premier abord passée, on commence à dire ce qu'on pense : "De toutes
façons la boîte est dans la merde parce que les dirigeants n'ont pas su
anticiper les congés. Comme par hasard, on va avoir deux semaines de retard sur
la livraison et deux semaines de retard, ça correspond aux vacances que chacun
prend en août. Coïncidence ? Je ne le crois pas".
Avec William, l'autre stagiaire,
on cherchait un coin de verdure où se poser pour manger notre sandwich du midi
(le restaurant d'entreprise ferme en août...) et on est tombés sur un terrain
de pétanque. Il faisait beau et j'avais des boules dans le coffre de ma twingo.
Et puis une fois que
l'autre stagiaire est bien en confiance parce qu'il nous a foutu une grosse
raclée à la pétanque le midi, il s'épanche : "Quand je lance l'export sur
excel, comme je ne peux rien faire, je file sur un site qui référence tout ce
qui se fait sur internet, notamment de grosses conneries. Tu connais quickmemes
?".
Du bon usage de l'humour
en entreprise
La responsable :
"Comment tu écris "champ" dans l'expression "le champ de
l'étude" ?"
Jérôme : "Avec un
C"
La responsable :
"C'était une blague ? Je ne suis pas réceptive à l'humour pendant les
horaires de bureau".
Heureusement pour moi,
j'ai pu me rattraper :
Le big boss : "Vous
avez vu que Jean-Luc Delarue était mort ?"
Jérôme : "D'un
accident d'avion ?"
Il ne l'a pas comprise
tout de suite mais il a souri. Petite victoire personnelle.
De cette saloperie de
reporting
"Alors Jérôme je
t'explique. Quand tu saisis un dossier, tu marques dans le tableur
"recensement" la référence du dossier que tu as saisi ainsi que les
éventuelles données manquantes. Attention, des fois on est plusieurs sur le
fichier donc on est en lecture seule, il faut qu'il n'y en ait plus qu'un qui
ait le fichier d'ouvert pour pouvoir l'enregistrer"
Moi pour gagner du temps,
je faisais tout mon reporting d'une traite. Bien entendu, une fois, après avoir
consacré presque toute ma matinée à faire des croix dans le tableau, j'ai
découvert que j'étais en lecture seule. Qui était donc l'enflure qui faisait
des modifs sur mon tableur ? "Hé William c'est toi qui est dans
"recensement" ? non ?" Chiottes. Un individu non identifié et
non localisé m'empêchait d'enregistrer deux heures trois quart d'heures
de travail acharné. S'il croyait que j'allais céder, il se fourrait le doigt
dans l'oeil jusqu'à la clavicule. J'ai essayé d'être malin "il va sûrement
fermer le fichier pendant la pause dèj". Sauf que ma pause dèj avait été
prolongée pour cause de beau temps. Finalement, j'ai dû attendre. Attendre.
Attendre encore. Ceux d'entre vous qui étaient surpris de recevoir encore des
mails de ma part après dix huit heures connaissent maintenant l'explication à
ce phénomène paranormal.
De la tristitude de la
culture d'entreprise
"Le process est
confusant mais on n'a pas le temps de trouver un autre moyen pour
l'impulser"
Ma responsable.
Au delà de la novlangue,
d'autres facteurs contribuent à la culture corporate, notamment l'art.
Attention, l'art qui décore les couloirs de l'Entreprise n'a rien à voir avec
du Kundelitch Kounedellish Kandinsky. Les oeuvres que je peux
admirer sur mon chemin vers la fontaine à eau sont au nombre de deux : l'une
est composée d'une photo d'un passage de relai avec marqué en dessous
"Communiquer. Donner c'est gagner". Un peu abrutissant. Et l'autre,
beaucoup plus marrante, représente un pingouin sur un iceberg qui s'est détaché
de la banquise et qui se retrouve bien emmerdé pour rejoindre la terre ferme.
Il va être obligé de nager au milieu des orques et des ours polaires, le con.
Le texte ? "Anticiper. Qui a tout prévu ignore l'imprévu !".
La gravité de la photo contraste brillamment avec le ton léger du texte.
De la fiabilité de nos
dirigeants
Quand le big boss nous
dit : "mercredi je serai au siège, ta responsable est en vacances, tu
seras donc seul avec William et Unnetelle. Si t'as une question tu m'appelles
hein ?", on essaie de prendre l'air inquiet sans en faire trop alors qu'on
sait que non, mercredi, on ne risque pas d'avoir de question pourvu que notre
boîte mail et facebook fonctionnent normalement. Quelle n'est pas notre
stupéfation le fameux mercredi quand on se pointe comme une fleur sur le lieu
de travail, 45 minutes après l'horaire indiqué sur notre contrat et qu'on tombe
sur le big boss qui nous dit en pointant sa montre : "ça fait trois fois
cette semaine !". On ne peut plus faire confiance à personne.
Les trucs qu'on n'aurait
pas du ouvrir
On s'est habitué aux NSFW
("Not Safe For Work" comme disait William avec son accent parfait de
franco-britannique qui fait ses études à Leeds), on voit qu'une amie du bad a
posté un truc sur notre mur. Si ça vient d'elle ce n'est pas méchant. Si la
censure de Facebook ne l'a pas supprimé, ce n'est pas méchant. On clique. C'est
un tumblr avec des photos de fesses. On aurait du s'en douter, ça s'appelle
"asstagram". L'ouverture du site s'accompagne d'une petite musique.
On croise le regard de sa responsable, du stagiaire, des autres gens dans
l'open space et on ferme la nouvelle fenêtre avant qu'un courant d'air n'ait le
temps d'entrer dans la pièce.
Il y a aussi cette ecard
postée sur notre mur avec la ferme intention de nuire. On y voit deux images
superposées. En haut, un mec envoie voltiger des feuilles de papier en disant
"fuck this shit it's friday". Et en bas, c'est lundi, on le voit les
ramasser. On essaie de se cacher derrière son écran pour rire discrètement.
Ce qui fait chaud au
coeur
C'est un lundi, le
dernier, celui de la semaine qu'on nous a proposé de faire en plus, proposition
à laquelle on a répondu qu'on était disponible après un rapide calcul mental
("cinq jours au smic, ça me fait 4,3958 pleins d'essence, allez j'accepte,
je suis une pute à fuel"), on a fini sa pause clope, on croise une
collègue, on lui tient la porte, et elle nous dit "merci Jérôme". Et
là, on sent comme une bouffée de chaleur et on pense "Elle m'a appelé par
mon prénom !".
Le truc qu'on apprend
trop tard
C'est un lundi, le
dernier, celui de la semaine qu'on nous a proposé de faire en plus, proposition
à laquelle... Ah non ça vous l'avez déjà lu plus haut. Bref, la dernière
semaine, le big boss nous demande si on veut du café. On lui répond qu'on en
voudrait bien mais qu'on n'a pas de capsules. Et bien entendu, il nous répond
"Mais j'en ai dans le tiroir tu pouvais te servir !". On pense à tous
ces petits dèjs qu'on a pris à l'eau claire. Zut.
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