lundi 15 octobre 2012

Un mois d'août aux Saisies


Vous connaissez Les Saisies ? C'est une station de ski sympa et animée l'hiver et seulement sympa l'été. Le cadre est quand même pas mal : la montagne, l'air pur, un rêve de randonneur. Moi j'ai passé mon mois d'août aux service saisie d'une boîte en banlieue parisienne. Le cadre était presque le même : des montagnes de dossiers, mes doigts qui font l'intégralité du GR 20 chaque jour sur le clavier, l'air pur en moins.

Je tire une certaine fierté d'avoir réussi à me faire embaucher deux mois dans une banque  pendant l'été 2009 (au plus fort de la crise) et trois mois dans une autre en 2010 (au plus fort de la crise depuis 2009). Et en 2011 ? Non là j'étais en stage. Du coup, j'étais assez confiant concernant le succés de ma recherche de job d'été. En avril je me disais "je taffe de mi mai à fin août, je me fais 5000 boules et je fais mon pimp toute l'année". Après un mois de recherches infructueuses, je me suis dit "bon c'est pas grave, je bosse juin-juillet-août, ça me fera quand même un joli pactole". Fin juin je commençais à m'organiser des vacances.

Une ultime salve de candidatures désespérées mi juillet m'a apporté un flot d'appels (deux). "Allô bonjour j'appelle au sujet de la candidature que vous nous avez envoyée. Vous seriez disponible cette après midi pour qu'on se rencontre ? Pas besoin de mettre un costume". Ca tombait vachement bien parce que celui que je mets "aux entretiens d'embauche, aux mariages et aux enterrements" avait besoin de passer au pressing et qu'il aurait fallu que j'achète les chaussures qui vont avec. Je suis de ceux qui anticipent. Mon interlocuteur m'a expliqué mes futures responsabilités : "On envoie des enquêteurs faire des mesures dans des grandes surfaces, ils remplissent de chiffres les gros dossiers que vous voyez là bas et votre mission, si vous l'acceptez, consistera à saisir ces dossiers dans des tableurs excel. Vous êtes disponible en août ? Trés bien je vous attends donc le 29 juillet à 9 heures !"

De la sympathie des stagiaires

Ce qui est bien quand on fait un job d'été, c'est quand il y a d'autres gens dans la même situation que nous. Au début on discute de choses et d'autres : "t'as vu, Unetelle, elle prend des pauses de 45 minutes, elle part dès que la responsable est en réunion et elle revient juste avant. A 16h59 elle attend sans rien faire qu'il soit 17h et à 17h01 elle a disparu".

Une fois la timidité du premier abord passée, on commence à dire ce qu'on pense : "De toutes façons la boîte est dans la merde parce que les dirigeants n'ont pas su anticiper les congés. Comme par hasard, on va avoir deux semaines de retard sur la livraison et deux semaines de retard, ça correspond aux vacances que chacun prend en août. Coïncidence ? Je ne le crois pas".

Avec William, l'autre stagiaire, on cherchait un coin de verdure où se poser pour manger notre sandwich du midi (le restaurant d'entreprise ferme en août...) et on est tombés sur un terrain de pétanque. Il faisait beau et j'avais des boules dans le coffre de ma twingo.

Et puis une fois que l'autre stagiaire est bien en confiance parce qu'il nous a foutu une grosse raclée à la pétanque le midi, il s'épanche : "Quand je lance l'export sur excel, comme je ne peux rien faire, je file sur un site qui référence tout ce qui se fait sur internet, notamment de grosses conneries. Tu connais quickmemes ?".

Du bon usage de l'humour en entreprise

La responsable : "Comment tu écris "champ" dans l'expression "le champ de l'étude" ?"

Jérôme : "Avec un C"

La responsable : "C'était une blague ? Je ne suis pas réceptive à l'humour pendant les horaires de bureau".

Heureusement pour moi, j'ai pu me rattraper :

Le big boss : "Vous avez vu que Jean-Luc Delarue était mort ?"

Jérôme : "D'un accident d'avion ?"

Il ne l'a pas comprise tout de suite mais il a souri. Petite victoire personnelle.

De cette saloperie de reporting

"Alors Jérôme je t'explique. Quand tu saisis un dossier, tu marques dans le tableur "recensement" la référence du dossier que tu as saisi ainsi que les éventuelles données manquantes. Attention, des fois on est plusieurs sur le fichier donc on est en lecture seule, il faut qu'il n'y en ait plus qu'un qui ait le fichier d'ouvert pour pouvoir l'enregistrer"

Moi pour gagner du temps, je faisais tout mon reporting d'une traite. Bien entendu, une fois, après avoir consacré presque toute ma matinée à faire des croix dans le tableau, j'ai découvert que j'étais en lecture seule. Qui était donc l'enflure qui faisait des modifs sur mon tableur ? "Hé William c'est toi qui est dans "recensement" ? non ?" Chiottes. Un individu non identifié et non localisé m'empêchait d'enregistrer deux heures trois quart d'heures de travail acharné. S'il croyait que j'allais céder, il se fourrait le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule. J'ai essayé d'être malin "il va sûrement fermer le fichier pendant la pause dèj". Sauf que ma pause dèj avait été prolongée pour cause de beau temps. Finalement, j'ai dû attendre. Attendre. Attendre encore. Ceux d'entre vous qui étaient surpris de recevoir encore des mails de ma part après dix huit heures connaissent maintenant l'explication à ce phénomène paranormal.

De la tristitude de la culture d'entreprise

"Le process est confusant mais on n'a pas le temps de trouver un autre moyen pour l'impulser"
Ma responsable.

Au delà de la novlangue, d'autres facteurs contribuent à la culture corporate, notamment l'art. Attention, l'art qui décore les couloirs de l'Entreprise n'a rien à voir avec du Kundelitch Kounedellish Kandinsky. Les oeuvres que je peux admirer sur mon chemin vers la fontaine à eau sont au nombre de deux : l'une est composée d'une photo d'un passage de relai avec marqué en dessous "Communiquer. Donner c'est gagner". Un peu abrutissant. Et l'autre, beaucoup plus marrante, représente un pingouin sur un iceberg qui s'est détaché de la banquise et qui se retrouve bien emmerdé pour rejoindre la terre ferme. Il va être obligé de nager au milieu des orques et des ours polaires, le con. Le texte ? "Anticiper. Qui a tout prévu ignore l'imprévu !". La gravité de la photo contraste brillamment avec le ton léger du texte.

De la fiabilité de nos dirigeants

Quand le big boss nous dit : "mercredi je serai au siège, ta responsable est en vacances, tu seras donc seul avec William et Unnetelle. Si t'as une question tu m'appelles hein ?", on essaie de prendre l'air inquiet sans en faire trop alors qu'on sait que non, mercredi, on ne risque pas d'avoir de question pourvu que notre boîte mail et facebook fonctionnent normalement. Quelle n'est pas notre stupéfation le fameux mercredi quand on se pointe comme une fleur sur le lieu de travail, 45 minutes après l'horaire indiqué sur notre contrat et qu'on tombe sur le big boss qui nous dit en pointant sa montre : "ça fait trois fois cette semaine !". On ne peut plus faire confiance à personne.

Les trucs qu'on n'aurait pas du ouvrir

On s'est habitué aux NSFW ("Not Safe For Work" comme disait William avec son accent parfait de franco-britannique qui fait ses études à Leeds), on voit qu'une amie du bad a posté un truc sur notre mur. Si ça vient d'elle ce n'est pas méchant. Si la censure de Facebook ne l'a pas supprimé, ce n'est pas méchant. On clique. C'est un tumblr avec des photos de fesses. On aurait du s'en douter, ça s'appelle "asstagram". L'ouverture du site s'accompagne d'une petite musique. On croise le regard de sa responsable, du stagiaire, des autres gens dans l'open space et on ferme la nouvelle fenêtre avant qu'un courant d'air n'ait le temps d'entrer dans la pièce.

Il y a aussi cette ecard postée sur notre mur avec la ferme intention de nuire. On y voit deux images superposées. En haut, un mec envoie voltiger des feuilles de papier en disant "fuck this shit it's friday". Et en bas, c'est lundi, on le voit les ramasser. On essaie de se cacher derrière son écran pour rire discrètement.

Ce qui fait chaud au coeur

C'est un lundi, le dernier, celui de la semaine qu'on nous a proposé de faire en plus, proposition à laquelle on a répondu qu'on était disponible après un rapide calcul mental ("cinq jours au smic, ça me fait 4,3958 pleins d'essence, allez j'accepte, je suis une pute à fuel"), on a fini sa pause clope, on croise une collègue, on lui tient la porte, et elle nous dit "merci Jérôme". Et là, on sent comme une bouffée de chaleur et on pense "Elle m'a appelé par mon prénom !".

Le truc qu'on apprend trop tard

C'est un lundi, le dernier, celui de la semaine qu'on nous a proposé de faire en plus, proposition à laquelle... Ah non ça vous l'avez déjà lu plus haut. Bref, la dernière semaine, le big boss nous demande si on veut du café. On lui répond qu'on en voudrait bien mais qu'on n'a pas de capsules. Et bien entendu, il nous répond "Mais j'en ai dans le tiroir tu pouvais te servir !". On pense à tous ces petits dèjs qu'on a pris à l'eau claire. Zut.

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