mercredi 10 octobre 2012

Comment Stevie Wonder est-il devenu célèbre ?


Stevie Wonder a grandi dans un pavillon de la banlieue de New York : trois pièces, cuisine équipée, chauffage central, un garage. Il avait une connexion internet pourrie mais à l'époque, ce n'était pas vraiment déterminant pour son avenir. Tout allait pour le mieux.


La première rencontre qu'il ait fait a marqué sa vie à tout jamais. Venus Demilo n'habitait pas trés loin de chez lui, et trés vite, les deux enfants sont devenus trés proches. Un lundi, alors qu'ils rentraient de l'école, le petit Stevie a demandé à la petite Venus "cap ou pas cap de jongler avec des tronçonneuses en marche ?". Vénus aurait mieux fait de se casser un bras, ce jour là. La suite de l'histoire, vous la connaissez tous. De remords, Stevie s'est détruit les yeux en regardant TF1 pendant toute une journée et toute une nuit.

Privé de la vue, c'est tout naturellement qu'il s'est lancé dans la chanson. Mais c'est bien connu, le show biz n'est pas facile d'accès. Un jour qu'il se promenait sur Madison Avenue en fredonnant le dernier tube de Michel Fugain, son chemin a croisé celui d'un publicitaire qui, par sa voix suave allêché, lui a proposé de travailler pour lui : "Votre ramage se rapporte à votre plumage, et moi je vais te plumer". Ca a été une période prospère : il composait la musique des spots de pub. La postérité a retenu celle pour l'offre ADSL de Free ou celle pour les crédits de Cofidis. Il a recyclé après ses premières compositions pour en faire des tubes ("Free", "You are the sunshine of my life"...), mais ça, c'était pendant sa période faste et on n'y est pas encore : les années qui ont suivi n'ont pas été roses et il a encore été frappé bien des fois par le mauvais oeil.

Par exemple, avant sa mutilation, il avait composé une chanson qu'il aurait pu reprendre pour débuter sa carrière artistique mais comme "elle ne correspondait plus à ce qu'il avait envie de chanter", il a préféré en vendre les droits à Pete Townshend, le leader des Who. "I can see for miles" a été un succès planétaire. Stevie Wonder en a-t-il tiré gloire et fortune ? Que nenni : l'acheteur des droits a honteusement profité de la cécité de son partenaire en affaires pour le faire signer sur la nappe en papier du troquet où l'affaire avait été conclue plutôt qu'au bas d'un contrat en bonne et due forme.

Autre exemple : en mars 1967, la marque Ray Ban cherchait un chanteur aveugle pour faire du placement de produit. "Cool, j'en suis un" s'était alors dit Stevie Wonder. C'était sans compter sur la malchance : la marque lui a préféré Ray Charles, soit disant parce que le prénom de ce dernier "s'insérait mieux au sein de la stratégie marketing de la marque". Mouais. Aujourd'hui, on sait que Stevie Wonder n'a pas été retenu parce qu'il était noir, tout simplement.

Les actes raciaux contre sa personne se sont multipliés et le 29 décembre 1976, il sort la chanson "Ebony and Ivory" dans laquelle il décrit son désarroi face au racisme et la société idéale dans laquelle il voudrait vivre. Encore une fois, il n'a pas eu de chance : la veille, Michael Jackson avait sorti la chanson "Black and White" et elle a rencontré un succès monstre tout en éclipsant complètement la chanson de Stevie Wonder. Le jour de sa sortie à minuit, la chanson de Michael Jackson comptabilisait déjà plusieurs millions de vues sur Youtube. A titre de comparaison, "Ebony and Ivory", n'en était qu'à 341 vues à minuit le jour de sa sortie. Bien des années plus tard, Stevie Wonder s'en est expliqué dans une interview au magazine Rolling Stone : "Cette chanson concurrente... Je ne l'avais pas vue venir".

Pour vaincre la malchance, Stevie s'est enfermé chez lui et s'est mis à composer d'arrache pied : en 78, après neuf mois coupé du monde, il a accouché de sa première chanson qui aurait pu marcher. Elle s'appelait "Blowin in the wind" mais, hélas, quelqu'un avait déjà composé la même (à l'identique). Rebelote pour "Redemption Song". Ca arrive des fois que deux artistes créent la même oeuvre. C'est rare mais ça arrive. En janvier 81, épuisé, il déclare dans un entretien au New Yorker : "j'ai tellement la poisse que je vais finir par tomber dans la superstition. Tiens d'ailleurs ça m'inspire une chanson. Il faut que je me dépêche de l'écrire avant que quelqu'un d'autre ne le fasse". Ce n'est qu'à partir de cette période qu'il a vraiment connu le succès. Et même si au début, il ne se produisait que dans des MJC en Moselle, c'était au moins ça. Son passage dans l'est de la France a tellement ému qu'il en a modifié le dialecte local : les linguistes sont formels, l'expression "bien vu l'aveugle !" est née alors que Stevie Wonder y faisait sa tournée et elle y est encore trés usitée de nos jours.

Depuis, il y a eu "Master Blaster", "Isn't she lovely", "For once in my life", et plein d'autres tubes qui lui ont permis de se faire "A place in the sun".

Aujourd'hui, Stevie Wonder coule une retraite paisible aux Bahamas. Mais pourquoi les Bahamas ? Il s'explique : "Je porte tout le temps des lunettes de soleil... C'est normal que je vive là où il fait beau". Une logique imparable.


Erratum : Dans le quatrième paragraphe, notre journaliste s'est trompé : le leader des Who n'est pas Pete Townshend mais Roger Daltrey. Le reste des informations est rigoureusement exact.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire