Il y a des moments dans la vie d'un homme où il se trouve seul, face à son destin.
Moi, c'est quand je dois faire un cadeau. Ce n'est pas un problème de radinerie ou de volonté mais à chaque fois que je dois faire un cadeau, il y a des complications. Premièrement, il faut avoir une idée de ce qu'on va offrir. Ainsi, deux heures avant l'anniversaire de ma sœur cet été, j'ai reçu l'appel d'une cousine.
Marie : "Hé Jérôme t'as acheté quoi comme cadeau à ta sœur ? Je peux participer ?"
Jérôme : "T'as oublié à qui tu t'adressais ? Je n'ai pas encore trouvé de cadeau ! Je crois que je vais lui acheter un livre..."
Marie : "C'est un livre que tu as aimé ? Il paraît que c'est mal poli d'offrir des livres qu'on n'a pas lus..."
Deuxièmement, si on achète un livre, il faut qu'on l'ait déjà lu. Ce principe de politesse est assez juste. Après tout, si on offre un livre qu'on n'a pas lu, on sous-entend un peu : "Tiens je t'offre un bouquin... Non je ne l'ai pas lu, tu sais bien que ma vie est trop palpitante pour que j'aie du temps à consacrer à ces conneries. Mais toi, avec ta vie de merde je suis sûr que tu trouveras le temps de le lire et avec tes goûts de chiottes, je suis sûr que ça va te plaire. Allez bon anniv’ !".
Troisièmement, un objet quelconque n'a le statut de "cadeau" qu'une fois qu'il est recouvert d'un assemblage compliqué de papier coloré et de scotch aussi connu sous le nom d’« emballage ». Les miens m'ont rarement emballé. Il y a longtemps, j'avais connu une fille qui faisait les paquets à l'Univers du Livre pour payer ses études. Elle avait mon âge, mais ses facultés étaient nettement plus développées : vous lui donniez n'importe quoi, elle y jetait un coup d'œil désinvolte et deux coups de ciseaux plus tard elle vous rendait votre cadeau empaqueté à la perfection. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que cette fille est devenue. Elle doit probablement travailler dans un ministère ou dans la recherche contre le cancer.
J'avoue avoir cédé quelques fois à la tentation de la pochette cadeau Fnac : une enveloppe kraft gaie comme un jour de pluie avec le logo du magasin pour toute fantaisie. Ceux qui s'occupent du marketing de l'enseigne sont des petits futés : en nous donnant un accès gratuit à ces fameuses pochettes, ils nous donnent envie d'acheter du papier cadeau.
Pour ne rien vous cacher, il n'y a pas si longtemps, alors que les jours qui me séparaient de Noël pouvaient se compter sur les doigts d'une main de menuisier, j'étais au bord du gouffre. Comme l’écrivait Aragon :
Il n'aurait fallu,
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne.
Mais une main nue
Alors est venue
Et a pris la mienne.
Et oui car je n'étais plus « seul face à mon destin » ! Ma copine m'a rassuré en quelques mots : "Je suis super forte pour faire des cadeaux ! Demain matin, on ira dans la boutique en face de chez moi. Ils y vendent du vin, tu trouveras sûrement un cadeau pour ton père. Pour ta sœur, on ira dans un magasin de fringues un peu plus loin dans la rue et pour ta mère...". Là je l'ai arrêtée. Pour ma mère, j'avais déjà une idée. Non mais oh ! Je ne suis pas complètement nul non plus.
Le lendemain, en trois quart d'heure, c'était bouclé. Et en rentrant on s'est partagé les tâches : moi je la débarrassais de son reste de tartiflette et elle, elle faisait mes paquets cadeaux.
Sur le trajet du retour, chargé comme un mulet, une pensée glaçante m'a traversé l'esprit. Il fallait que je trouve un cadeau pour ma copine...
Il y a vraiment des moments dans la vie d'un homme où il se retrouve seul, face à son destin.
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