vendredi 15 février 2013

Il y a des moments dans la vie d'un homme où...

Il y a des moments dans la vie d'un homme où il se trouve seul, face à son destin.
Moi, c'est quand je dois faire un cadeau. Ce n'est pas un problème de radinerie ou de volonté mais à chaque fois que je dois faire un cadeau, il y a des complications. Premièrement, il faut avoir une idée de ce qu'on va offrir. Ainsi, deux heures avant l'anniversaire de ma sœur cet été, j'ai reçu l'appel d'une cousine.
Marie : "Hé Jérôme t'as acheté quoi comme cadeau à ta sœur ? Je peux participer ?"
Jérôme : "T'as oublié à qui tu t'adressais ? Je n'ai pas encore trouvé de cadeau ! Je crois que je vais lui acheter un livre..."
Marie : "C'est un livre que tu as aimé ? Il paraît que c'est mal poli d'offrir des livres qu'on n'a pas lus..."
Deuxièmement, si on achète un livre, il faut qu'on l'ait déjà lu. Ce principe de politesse est assez juste. Après tout, si on offre un livre qu'on n'a pas lu, on sous-entend un peu : "Tiens je t'offre un bouquin... Non je ne l'ai pas lu, tu sais bien que ma vie est trop palpitante pour que j'aie du temps à consacrer à ces conneries. Mais toi, avec ta vie de merde je suis sûr que tu trouveras le temps de le lire et avec tes goûts de chiottes, je suis sûr que ça va te plaire. Allez bon anniv’ !".
Troisièmement, un objet quelconque n'a le statut de "cadeau" qu'une fois qu'il est recouvert d'un assemblage compliqué de papier coloré et de scotch aussi connu sous le nom d’« emballage ». Les miens m'ont rarement emballé. Il y a longtemps, j'avais connu une fille qui faisait les paquets à l'Univers du Livre pour payer ses études. Elle avait mon âge, mais ses facultés étaient nettement plus développées : vous lui donniez n'importe quoi, elle y jetait un coup d'œil désinvolte et deux coups de ciseaux plus tard elle vous rendait votre cadeau empaqueté à la perfection. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que cette fille est devenue. Elle doit probablement travailler dans un ministère ou dans la recherche contre le cancer.
J'avoue avoir cédé quelques fois à la tentation de la pochette cadeau Fnac : une enveloppe kraft gaie comme un jour de pluie avec le logo du magasin pour toute fantaisie. Ceux qui s'occupent du marketing de l'enseigne sont des petits futés : en nous donnant un accès gratuit à ces fameuses pochettes, ils nous donnent envie d'acheter du papier cadeau.
Pour ne rien vous cacher, il n'y a pas si longtemps, alors que les jours qui me séparaient de Noël pouvaient se compter sur les doigts d'une main de menuisier, j'étais au bord du gouffre. Comme l’écrivait Aragon :
Il n'aurait fallu,
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne.
Mais une main nue
Alors est venue
Et a pris la mienne.
Et oui car je n'étais plus « seul face à mon destin » ! Ma copine m'a rassuré en quelques mots : "Je suis super forte pour faire des cadeaux ! Demain matin, on ira dans la boutique en face de chez moi. Ils y vendent du vin, tu trouveras sûrement un cadeau pour ton père. Pour ta sœur, on ira dans un magasin de fringues un peu plus loin dans la rue et pour ta mère...". Là je l'ai arrêtée. Pour ma mère, j'avais déjà une idée. Non mais oh ! Je ne suis pas complètement nul non plus.
Le lendemain, en trois quart d'heure, c'était bouclé. Et en rentrant on s'est partagé les tâches : moi je la débarrassais de son reste de tartiflette et elle, elle faisait mes paquets cadeaux.
Sur le trajet du retour, chargé comme un mulet, une pensée glaçante m'a traversé l'esprit. Il fallait que je trouve un cadeau pour ma copine...
Il y a vraiment des moments dans la vie d'un homme où il se retrouve seul, face à son destin.

mercredi 13 février 2013

Il était à Bruxelles une fois


C’est dur pour tout le monde ce vendredi matin à 7h15 sur le parvis de la fac, d’autant plus qu’il a neigé pendant la nuit. Ce qui rassemble 80 personnes avant l’aube en plein hiver n’a rien à voir avec les études : nous partons en week end dans le pays de Gérard Depardieu, la Belgique.

Bruxelles, c’est à 4h de bus de Paris. 4h de bus, c’est sensiblement moins long que 4h d’économétrie des données de panel, mais c’est long quand même. J’ai trouvé un truc pour nous occuper : Robin habite à perpette de la fac, dans une petite bourgade nommée Viarmes. Si vous ne connaissez pas c’est normal. Si vous connaissez, je suis désolé pour vous. Le bus file sur l’autoroute en rase campagne, le paysage est aussi blanc qu’une de mes copies de stats pendant ma première année de licence, et Robin annonce innocemment : « on ne doit pas être très loin de chez moi là… ». Il a réveillé la bête : dès que j’aperçois une bicoque je lui demande si c’est chez lui. Quand je vois une grange, je lui demande si c’était son lycée. Ce petit jeu nous occupe jusqu’à ce que le chauffeur nous annonce que nous allons faire la pause de mi-parcours. A la station-service, la caissière me demande « deux euros nonante-cinq ». Je contiens difficilement un « plaît-il ? » mais l’écran de sa caisse enregistreuse m’affiche le prix avec des chiffres. Nous sommes en Belgique.

La première après-midi est un peu compliquée. Sur le programme, il était indiqué que nous devions assister à une conférence à la Commission Européenne à 14h, mais nous avons décidé de représenter la France à l’international en arrivant à la bourre. La Commission nous attendra.

Je ne sais pas ce qui m’a pris de m’asseoir au premier rang. Le conférencier maîtrise son sujet. Ce qu’il raconte, c’est du lourd, du très très lourd. Mes paupières aussi, c’est du lourd, du très très lourd. Il est juste en face de moi, et dans un souci de savoir vivre, je ne peux pas m’endormir. Mais physiquement, je peux. J’ai pu. Trois fois. Quand je me suis réveillé la troisième fois, c’était pour l’entendre terminer une phrase « … je dis notamment ça à tous ceux qui cherchent un stage ». Et merde. Si je ne trouve pas de stage pour clôturer mon M2, je ne pourrais vraiment m’en prendre qu’à moi-même. Sa conférence dure depuis maintenant une heure et demie. Petit à petit, ses propos, ses slides et son ton laissent deviner une conclusion imminente, mais non : « C’est donc la fin de cette première partie ». Je pars m’offrir une double dose de nicotaféïne et à mon retour mes voisins jouent avec une petite pochette bleue. Dedans il y a un poncho estampillé « Commission Européenne ». Il m’en faut un absolument au cas où l’envie me prendrait d’aller à une soirée poncho, de tourner un remake des visiteurs ou si les douanes écossaises se décidaient à me laisser passer la frontière, mais la conférence a déjà repris. Du coup je surveille le tas de pochettes sur la table, de peur qu’on ne l’enlève. Je surveille aussi Fabien qui a fait la connaissance de la petite Séréna dans le bus. Ils se sont mis tout au bout de la salle et se font des chatouilles. Quand son regard croise le mien, j’imite Kheiran dans Bref. Ça me change : d’habitude, j’ai plutôt le rôle de Kyan Kojandi.

Il est tard, il est temps d’aller manger. Nous nous engageons dans de petites ruelles et là, tels Christophe Colomb avant nous en Amérique, nous découvrons une petite place super jolie. J’ai l’impression d’avoir découvert un lieu magnifique et secret, reservé aux badauds qui se perdent au gré de leur rêverie. J’avais déjà ressenti ça quand j’avais arpenté pour la première fois la rue Edouard VII à Paris. Plus tard, nous apprendrons que nous étions sur la Grand Place, le lieu le plus touristique de Bruxelles. Un peu plus loin dans notre cheminement, nous trouvons une bonne auberge. Moi quand je suis à l’étranger, j’aime manger local. J’ai donc commandé une pizza Manneken Pis.

Nous décidons de poursuivre la soirée au Delirium mais les videurs ne veulent pas nous laisser entrer avec notre bouteille de whisky, notre coca et nos gobelets, donc nous retournons sur la Grand Place pour la siffler. Il ne fait qu’une demi-douzaine de degrés en dessous de zéro. Concernant la suite de la soirée je dois reconnaître que mes souvenirs sont un peu flous, je me souviens avoir pris des shots d’absinthe, avoir chanté « toi qui voulais… » avec un amateur de chanson française francophone et avoir fini dans les choux de Bruxelles jusqu’à ce qu’une voix me harangue à un carrefour : « hé Jérôme tu rentres avec nous ? ». C’était des compagnons de voyage qui avaient une place de libre dans leur taxi (Marianne tu me diras combien je te dois).

"Ils étaient comme ça vos agresseurs ?"


Le lendemain matin, on entend les exploits de la soirée. Ça commence à 8 heures avec cette cruche de Séréna qui nous réveille pour nous raconter qu’elle a pris de la MDMA et qu’elle a trop la pêche pour se coucher. A 9 heures, c’est un dur qui raconte qu’il a couché 5 mecs qui l’attaquaient à lui tout seul1. A 10 heures, c’est Paulo qui raconte que 5 mecs ont voulu coucher avec lui comme ça se fait dans les caves de nos banlieues (plus tard, on leur demandera si ses 5 mecs étaient les mêmes que ceux du gros dur, mais non. On leur demandera aussi pourquoi ils n’ont pas passé la soirée ensemble, l'un aurait protégé l'autre). Comme tout ce petit monde ne veut pas laisser dormir ceux qui sont couchés (de leur plein gré, eux), à 11 heures, je me lève et je me prends les pieds dans une grande toile en nylon. Mais bordel qui est le con qui a ramené un poncho dans la chambre ?

Toute ressemblance entre cette définition 
et une personne citée plus haut est absolument fortuite


Le programme de la journée est plutôt light : un musée de la bière sans conférencier cette fois-ci (on a eu notre dose la veille), le Manneken Pis et un petit vin cuit sur la Grand Place. Ce n’était pas un grand cru, puisqu’il était cuit. Il était vachement bon quand même.

Le soir on décide de se chauffer tranquillement dans une chambre voisine avec un petit jeu calme (le mafieux) et seulement une bouteille de whisky et une de vodka. La chambre dont je parle avait l’affluence d’une gare et la fréquentation d’un squat. Un gros barbu est sorti d’un placard, il a salué Jesse et Chester, il a pissé dans le pot d’une plante verte et il est retourné d’où il venait. Métro2, bar, absinthe et trou de mémoire. En rentrant à l’auberge de jeunesse Fabien décide de fumer une clope dans la salle de bains. On le suit. Après avoir passé une vingtaine de minutes dans cette petite pièce nous découvrons, posé sur un radiateur, un sandwich comme on en voit dans la série How I met Your Mother.


"Hé mais je te reconnais toi3..."

Le lendemain, après avoir rapidement bouclé nos sacs (moi j’ai mis un peu plus de temps que les autres à cause de ce foutu poncho qui prenait vachement plus de place une fois sorti de sa pochette), j’ai insisté pour que nous allions manger des frites. Ca aurait été un crime de ne pas en manger au pays de la bédé, de la fricadelle et de Marc Dutrou Jacques Brel.

Dans le bus, sur le trajet du retour, une fille me fait remarquer que le chauffeur a une pelle derrière son siège. Avec les autres, on en avait vu sur des écussons qui ornaient la Grand Place, et on s’était demandé si ce n’était pas l’emblème de la Belgique, un peu comme notre coq ou notre fleur de lys. Du coup, j’aurais bien ramené une pelle en souvenir. Je ramène des souvenirs à la pelle, c’est déjà pas mal.



1C'est probablement ce que l'ethnologue René Gosciny appelle des "carabistouilles" dans son ouvrage Astérix chez les Belges.

2Si je vous dis que sur une même ligne vous avez les stations « Eddy Merckxx », « Place de la roue », et « Saint-Guidon » vous me croyez ou pas ? Et si je vous dis qu’il y a une station qui s’appelle « Jacques Brel » ?

3Jeu Concours ! La première personne qui reconnaîtra également cette personne et qui m'enverra un mail avec son nom gagnera un magnifique poncho, état neuf, jamais servi.