C’est dur pour tout le monde ce vendredi matin à 7h15 sur le parvis de la fac, d’autant plus qu’il a neigé pendant la nuit. Ce qui rassemble 80 personnes avant l’aube en plein hiver n’a rien à voir avec les études : nous partons en week end dans le pays de Gérard Depardieu, la Belgique.
Bruxelles, c’est à
4h de bus de Paris. 4h de bus, c’est sensiblement moins long que 4h
d’économétrie des données de panel, mais c’est long quand même. J’ai trouvé un
truc pour nous occuper : Robin habite à perpette de la fac, dans une
petite bourgade nommée Viarmes. Si vous ne connaissez pas c’est normal. Si vous
connaissez, je suis désolé pour vous. Le bus file sur l’autoroute en rase
campagne, le paysage est aussi blanc qu’une de mes copies de stats pendant ma
première année de licence, et Robin annonce innocemment : « on ne
doit pas être très loin de chez moi là… ». Il a réveillé la bête :
dès que j’aperçois une bicoque je lui demande si c’est chez lui. Quand je vois
une grange, je lui demande si c’était son lycée. Ce petit jeu nous occupe
jusqu’à ce que le chauffeur nous annonce que nous allons faire la pause de
mi-parcours. A la station-service, la caissière me demande « deux euros
nonante-cinq ». Je contiens difficilement un « plaît-il ? »
mais l’écran de sa caisse enregistreuse m’affiche le prix avec des chiffres.
Nous sommes en Belgique.
La première
après-midi est un peu compliquée. Sur le programme, il était indiqué que nous
devions assister à une conférence à la Commission Européenne à 14h, mais nous
avons décidé de représenter la France à l’international en arrivant à la
bourre. La Commission nous attendra.
Je ne sais pas ce
qui m’a pris de m’asseoir au premier rang. Le conférencier maîtrise son sujet.
Ce qu’il raconte, c’est du lourd, du très très lourd. Mes paupières aussi,
c’est du lourd, du très très lourd. Il est juste en face de moi, et dans un
souci de savoir vivre, je ne peux pas m’endormir. Mais physiquement, je peux.
J’ai pu. Trois fois. Quand je me suis réveillé la troisième fois, c’était pour
l’entendre terminer une phrase « … je dis notamment ça à tous ceux qui
cherchent un stage ». Et merde. Si je ne trouve pas de stage pour clôturer
mon M2, je ne pourrais vraiment m’en prendre qu’à moi-même. Sa conférence dure
depuis maintenant une heure et demie. Petit à petit, ses propos, ses slides et
son ton laissent deviner une conclusion imminente, mais non : « C’est
donc la fin de cette première partie ». Je pars m’offrir une double dose
de nicotaféïne et à mon retour mes voisins jouent avec une petite pochette
bleue. Dedans il y a un poncho estampillé « Commission Européenne ».
Il m’en faut un absolument au cas où l’envie me prendrait d’aller à une soirée
poncho, de tourner un remake des visiteurs ou si les douanes écossaises se
décidaient à me laisser passer la frontière, mais la conférence a déjà repris.
Du coup je surveille le tas de pochettes sur la table, de peur qu’on ne
l’enlève. Je surveille aussi Fabien qui a fait la connaissance de la petite
Séréna dans le bus. Ils se sont mis tout au bout de la salle et se font des
chatouilles. Quand son regard croise le mien, j’imite Kheiran dans Bref. Ça me
change : d’habitude, j’ai plutôt le rôle de Kyan Kojandi.
Il est tard, il est
temps d’aller manger. Nous nous engageons dans de petites ruelles et là, tels
Christophe Colomb avant nous en Amérique, nous découvrons une petite place
super jolie. J’ai l’impression d’avoir découvert un lieu magnifique et secret,
reservé aux badauds qui se perdent au gré de leur rêverie. J’avais déjà
ressenti ça quand j’avais arpenté pour la première fois la rue Edouard VII à
Paris. Plus tard, nous apprendrons que nous étions sur la Grand Place, le lieu
le plus touristique de Bruxelles. Un peu plus loin dans notre cheminement, nous
trouvons une bonne auberge. Moi quand je suis à l’étranger, j’aime manger
local. J’ai donc commandé une pizza Manneken Pis.
Nous décidons de
poursuivre la soirée au Delirium mais les videurs ne veulent pas nous laisser
entrer avec notre bouteille de whisky, notre coca et nos gobelets, donc nous
retournons sur la Grand Place pour la siffler. Il ne fait qu’une demi-douzaine
de degrés en dessous de zéro. Concernant la suite
de la soirée je dois reconnaître que mes souvenirs sont un peu flous, je me
souviens avoir pris des shots d’absinthe, avoir chanté « toi qui voulais… »
avec un amateur de chanson française francophone et avoir fini dans les
choux de Bruxelles jusqu’à ce qu’une voix me harangue à un carrefour :
« hé Jérôme tu rentres avec nous ? ». C’était des compagnons de
voyage qui avaient une place de libre dans leur taxi (Marianne tu me diras
combien je te dois).
"Ils étaient comme ça vos agresseurs ?"
Le lendemain matin,
on entend les exploits de la soirée. Ça commence à 8 heures avec cette cruche
de Séréna qui nous réveille pour nous raconter qu’elle a pris de la MDMA et
qu’elle a trop la pêche pour se coucher. A 9 heures, c’est un dur qui raconte
qu’il a couché 5 mecs qui l’attaquaient à lui tout seul1. A 10
heures, c’est Paulo qui raconte que 5 mecs ont voulu coucher avec lui comme ça
se fait dans les caves de nos banlieues (plus tard, on leur demandera si ses 5
mecs étaient les mêmes que ceux du gros dur, mais non. On leur demandera aussi
pourquoi ils n’ont pas passé la soirée ensemble, l'un aurait protégé l'autre).
Comme tout ce petit monde ne veut pas laisser dormir ceux qui sont couchés (de
leur plein gré, eux), à 11 heures, je me lève et je me prends les pieds dans
une grande toile en nylon. Mais bordel qui est le con qui a ramené un poncho
dans la chambre ?
Toute ressemblance entre cette définition
et une personne citée plus haut est absolument fortuite
Le programme de la
journée est plutôt light : un musée de la bière sans conférencier cette fois-ci
(on a eu notre dose la veille), le Manneken Pis et un petit vin cuit sur la
Grand Place. Ce n’était pas un grand cru, puisqu’il était cuit. Il était
vachement bon quand même.
Le soir on décide
de se chauffer tranquillement dans une chambre voisine avec un petit jeu calme
(le mafieux) et seulement une bouteille de whisky et une de vodka. La chambre
dont je parle avait l’affluence d’une gare et la fréquentation d’un squat. Un
gros barbu est sorti d’un placard, il a salué Jesse et Chester, il a pissé dans
le pot d’une plante verte et il est retourné d’où il venait. Métro2,
bar, absinthe et trou de mémoire. En rentrant à l’auberge de jeunesse Fabien
décide de fumer une clope dans la salle de bains. On le suit. Après avoir passé une
vingtaine de minutes dans cette petite pièce nous découvrons, posé sur un
radiateur, un sandwich comme on en voit dans la série How I met Your Mother.
"Hé mais je te reconnais toi3..."
Le lendemain, après
avoir rapidement bouclé nos sacs (moi j’ai mis un peu plus de temps que les
autres à cause de ce foutu poncho qui prenait vachement plus de place une fois
sorti de sa pochette), j’ai insisté pour que nous allions manger des frites. Ca
aurait été un crime de ne pas en manger au pays de la bédé, de la fricadelle et
de Marc Dutrou Jacques Brel.
Dans le bus, sur le
trajet du retour, une fille me fait remarquer que le chauffeur a une pelle
derrière son siège. Avec les autres, on en avait vu sur des écussons qui
ornaient la Grand Place, et on s’était demandé si ce n’était pas l’emblème de
la Belgique, un peu comme notre coq ou notre fleur de lys. Du coup, j’aurais
bien ramené une pelle en souvenir. Je ramène des souvenirs à la pelle, c’est
déjà pas mal.
1C'est probablement ce que l'ethnologue René
Gosciny appelle des "carabistouilles" dans son ouvrage Astérix chez les Belges.
2Si je vous dis que sur une même ligne vous avez les stations « Eddy Merckxx », « Place de la roue », et « Saint-Guidon » vous me croyez ou pas ? Et si je vous dis qu’il y a une station qui s’appelle « Jacques Brel » ?
3Jeu Concours ! La première personne qui reconnaîtra également cette personne et qui m'enverra un mail avec son nom gagnera un magnifique poncho, état neuf, jamais servi.