Je sais que ma cousine Marie est née en mai : elle a le tempérament de quelqu'un qui a été accueilli lors de sa venue au monde par un soleil qui brillait, des oiseaux qui chantaient et des arbres en fleurs. Mais si je connais le mois de sa date de naissance, je n'en connais pas le jour.
Ce premier mai, je me suis dit que j'allais tout simplement la demander à son frère. Sauf qu'il avait changé de numéro un an avant et que j'avais oublié de l'enregistrer. Le dix, je me suis dit que j'allais lui souhaiter son anniv le 15. Je me tromperais peut-être, mais pas de plus de deux semaines, l'honneur et les relations familiales seraient saufs. Et de toutes façons, il lui arrive souvent de se planter au moment de me souhaiter mon anniv donc ça aurait été un peu osé de sa part de m'en tenir rigueur. Sauf que le 15, j'étais persuadé qu'elle était née le 19. Et le 19, j'ai oublié de le lui souhaiter... Mais elle était née le 31, d'accord, j'avais un peu hésité avant, mais maintenant j'en étais certain. Et puis le 31, je me suis souvenu qu'en fait c'était l'anniv de Mélissa et non pas de ma cousine.
Début juin, pour sauver les meubles, j'ai décidé de frapper un grand coup en composant pour elle ce qui suit.
Je n’ignore pas qu’il est une date en mai
Qu’il eût été courtois pour moi de te souhaiter.
Le dix-neuf ? Le trente ? Ou peut-être bien le vingt…
Occupé à chercher, je ne vis poindre juin.
Combien de fois ai-je amèrement souligné
Un très léger défaut de ton calendrier
Alors qu’une erreur de seulement quelques heures
N’avait pas d’importance en mon for intérieur ?
A moi le fiel, l’opprobre, que dis-je, la turpitude,
Si je ne corrige prestement cette attitude !
Vite ! Lui écrire une épître ! Mais quoi ? Un sonnet !
Daigne accepter mes excuses et ces quelques vers.
Je te souhaite en retard un bon anniversaire,
Et je salue ta clémence, et son masculin.
(Ce dernier vers faisant référence à son copain)
J'ai fait profil bas pendant quelques jours pour lui laisser le temps de préparer un retour élégiaque, et elle m'a appelé : "Jérôme, je vais faire étudier ton texte par mes élèves" (elle est prof de français). J'étais flatté derrière le combiné. Je suis resté silencieux pour l'empêcher de voir que je rougissais. Elle a continué : "Non, c'est une blague ! Bon tu sais que normalement dans un sonnet tu dois alterner rime féminine et rime masculine ?". Là, elle s'est lancée dans un commentaire abscons en pointant les "absences notoires d'anacoluthes, de syllepses et de diérèses à l'hémistiche". Je n'avais toujours rien dit, et je voyais rien d'autre à faire que continuer sur ma lancée. Elle a porté le coup de grâce avant de raccrocher : "De toutes façons je suis née en février".
Sa réponse à mon poème m'avait un peu paumé, je dirais même plus, j'étais sonné.
C'est bien la dernière fois que je me prends la tête pour lui souhaiter son anniversaire de manière personnalisée. La prochaine fois, je lui paierai un verre. Ou je lui ferai livrer un joli bouquet. Et pour ça Marie est née au moment parfait : les iris fleurissent à la fin du mois de mai.